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PSYCHOLOGIE DE BRENTANO
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lors même que je parais me représenter la puissance, ne fût-ce que
pour la nier, ce que je me représente en réalité, c'est un sujet1 qui se
représente quelque chose et je nie a priori que ce quelque chose puisse
être potentiel.
On ne saurait dire non plus, sans être infidèle à Brentano, que les
catégories du vrai et du faux appartiendraient aux modes mêmes de la
représentation et affecteraient ainsi de façon « latérale » la «chose » représentée
. Pour le maître le discernement de révident, source du « vrai »,
n'appartient qu'au jugement, non à l'acte simplement représentatif.
Dans une lettre datée de 1909, Brentano convient que sa pensée sur
ce point s'est précisée depuis la Psychologie du point de vue empirique
dont certaines pages semblaient considérer le contenu du
jugement comme une modalité représentative directement intentionnelle
. C'est ainsi que l'auteur affirmait qu'on peut « traiter le prédicat
négatif comme un caractère positif en transformant la proposition
hypothétique AB-implique CD en proposition catégorique. Il n'existe
pas de AB sans CD, ou la proposition disjonctive AB exclut CD
en proposition catégorique AB et CD forment un tout dont une
partie seulet existe »a. Dans sa lettre de 1909 Brentano ajoute quê
c'est Aristotè qui lui avait enseigné à confondre ainsi la liaison hypothétique
ou disjonctive avec l'affirmation intentionnelle. Réfléchissant
davantage au refus du Stagirite d'étendre la catégorie de /'existence
à l'infini actuel et remarquant qu'on n'échapperait guère à
cet infini actuel si la pensée s'appliquait directement et intuitivement
au possible, à l'impossible, au futur, au passé, etc., l'auteur
de la Psychologie fut bientôt convaincu que, non seulement Dieu
perdrait lui-même son caractère de principe ontologique s'il fallait
imaginer comme objets réels de sa pensée une multitude sans fin
d'impossibles non réalisables et de possibles non réalisés, mais que
sur le plan de la pure analyse phénom£nognosique, même lorsqu'on
use de fictions mathématiques comme celles du nombre imaginaire
et qu'on demeure sur le plan de ce que Mill appelle avec les Scolas-
tiques le syncatégorématique (ce que Brentano traduit par mitbe-
deutendes), on ne se représente jamais que du réel en acte 8.
Cette affirmation n'empêche aucunement de distinguer le jugement
fondé du jugement non fondé, m l'amour légitime de l'amour
aveugle, sans poser pour autant ni le vrai ni le bien, comme des
choses auxquelles l'esprit s'égalerait. Les prétendus « contenus
de conscience irréels a4 ne sont en définitive que des fictions verbales5,
des abréviations commodes, et c'est sur ce point précisément que
Brentano se heurte à Husserl et à Meinong qui l'accusent de leur
côté de « psychologisme »6. Sans doute la logique brentanienne se
fonde bien sur la psychologie. Mais il ne s'agit plus de la psychologie
« génétique » de type herbartien qui tirerait de l'expérience des
lois d'association et qui chercherait le lien de la pensée aux conditions
1. Le terme « sujet » que, pour éviter parfois des formules trop barbares telles
que « un se représentant », nous avons utilisé dans la traduction ne doit pas être
entendu ici au sens kantien ni être opposé à objet.
2. Cf. Sur la thèse de Marty dans ses Funktionen der Kasus {Fonctions des cas).
Kraus, loc. cit. XLIII.
3. Ibid. XLIX.
4. Ibid. LUI.
5. Fictions verbales, non métaphysiques comme dans la Philosophie du comme si
de Vaihinger.
6« Reproche auquel Brentano semble avoir été particulièrement sensible, car sa
réponse à laquelle nous avons déjà renvoyé plus haut est écrite d'une encre assez
susceptible.
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