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PRÉFACE DU TRADUCTEUR 15

somatiques; Brentano ne s*intéresse plus désormais qu'à une psychologie
dite « descriptive », c'est-à-dire axée exclusivement sur l'ana-
lu se des modes réels de la conscience.

Or cette analyse découvre deux types d'évidence, Vune axiomatique
et négative. Vautre intuitive et liée à la perception interne ou conscience
seconde. Par là même elle dépasse le « point de vue empirique »
et introduit dans la pensée un élément normatif 1. Cette norme pourtant
ne constitue point pour le fait une règle extérieure. Comme le
dit très fortement Kraus 2, « dans tout jugement éclairé le droit est
devenu fait (das logische SoU ist zum logischen Sein «geworden)
comme dans toute activité d'ordre affectif bien orientée la valeur est
devenue réalité (das axiologische Soll ist zum axiologischen Sein
geworden) ». Il suffit pour s'en convaincre de comprendre que droit
et fait constituent des synsémantèmes c'est-à-dire des termes qui
correspondent sur le plan verbal aux syncatégorèmes et dont la fonction
est de « signifier avçç » (mit-bedeuten). Il ne s'agit pas de recettes
pratiques constituant à la façon classique un « art de bien raisonner »,
mais de l'existence immédiatement donnée du jugement vrai ou de
l'amour légitime', existence qui n'est pas le résultat d'une accumulation
d'expériences associées ou confrontées et qui transcende donc cn>
un sens le fait empirique, mais sans lui être aucunement extrinsèque. -

Que penser en ce cas de ce qu'on appelle communément perception
extérieure et qui n'est ni évidence axiomatique ni intuition de la
conscience seconde? Husserl a souvent reproché a Brentano d'avoir
mal établi la distinction du psychique et du physique3. A ses yeux <
la qualité sensible appartient intentionnellement à l'acte psychique,
elle porte donc le caractère d'un donné immédiat; l'auteur de la Psychologie
a toujours pensé au contraire que ni la couleur ni le son
n'existent réellement. En fait il n'est pas sûr qu'il s'agisse d'autre
chose ici que d'un malentendu verbal. Ce que critique Brentano,
c'est simplement l'instinct « aveugle 9 qui nous pousse à considérer
comme évidente la transcendance extra-mentale des « choses ». Mais
ces « choses » elles-mêmes, en tant qu'objet de pensée, sont loin de constituer
, on l'a vu, des « parties » intrinsèques du sujet en tant que
tel. La sensation (Empflnden) n'est pas une pure modification
interne, elle est déjà d'entrée de jeu, avant toute intervention de la
réflexion, une perception extérieure fâussere Wahrnehmung),
c'est-à-dire une relation psychique portant sur un « réel » (Reaies)
ou encore, en langage aristotélicien, sur un l'Stov aiç^oy. C'est
là pour Brentano une conséquence inéluctable du principe même qu'il
a enseigné à toute phénoménologie: a La conscience est toujours
conscience de quelque chose ».

Quant à l'existence transcendante de Vextra-mental, Brentano,
qui n'est pas idéaliste, ne la nie aucunement. Il pense seulement
qu'elle se tire inductivement d'un complexe d'intuitions, de concepts

1. L'origine de la connaissance morale (n° 42 de la liste des œuvres) précise également
que les principes de discrimination affective fondés sur les attitudes émotives
ne sont pas plus d'origine inductive que le principe d'identité ou lé principe des
indiscernables. Il semble que le désaccord avec Scheler et avec Husserl soit plus
apparent que réel. Pour nous en tenir ici au terrain logique, il suffira de comparer
le texte de VUrsprung (p. 42 de l'édition Meiner) : « Il s'agit d'une préférence naturelle
pour le processus légitime par rapport au processus illégitime », à celui des
Logische Untersuchungen, I, p. 157 : « Une certaine préférence interne en ce qui
concerne la légitimité de la pensée doit caractériser ces principes plutôt que d'autres
». s

2. Loc. cit., hXh

3. Log. Unters., H, I» p. 364 sq.