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172 PSYCHOLOGIE DU POINT DE VUE EMPIRIQUE
Qu'une telle théorie soit donc vraie ou fausse, toujours est-il qu'elle
est parfaitement compatible avec cette unité 6\e la conscience,
que nous révèle la perception interne.
L'unité delà conscience ne signifie pas non plus que la conscience,
telle qu'elle existe réellement, exclut toute pluralité de parties,
quelle que soit la nature de ces parties. Nous avons déjà vu, au
contraire, que la perception interne nous révèle unex diversité
d'opérations; et la perception interne ne peut nous tromper.
Herbart estimait^ il est vrai, que chaque réalité doit être simple.
Seule une collection pourrait, dit-il, comporter pluralité de parties.
Une réalité non-simple serait contradictoire, et on ne devrait jamais
contrevenir au principe de contradiction. Sur ce dernier point,
nous sommes d'accord avec Herbart. Mettre en doute, n'importe
où et n'importe comment, le principe de contradiction, ce serait
aller contre une évidence immédiate qui est plus certaine qu'aucune
démonstration. Mais cette évidence n'est pas moins immédiate
en ce qui concerne les faits de notre conscience interne. L'erreur
maîtresse de Herbart, et avant lui de Kant, fut de considérer les
phénomènes de la perception interne delà rnême façon que les phénomènes
auxquels s'applique la perception^dite externe, comme de
simples apparences, signes d'autres apparences, au lieu d'y voir
des réalités effectives. C'est sur cette base qu'ils ont fondé toute leur
psychologie l. Si 'Herbart avait raisonné autrement,il aurait constaté
l'incompatibilité de ses théories métaphysiques et des données
de la perception interne, et il aurait remarqué, dans ce passage
et dans d'autres encore, certaines lacunes et certaines équivoques
de son argumentation ; et il n'y aurait pas eu besoin qu'un
autre philosophe vînt montrer que les contradictions dont Herbart
fait état ne sont que des contradictions apparentes z. En affirmant
l'unité réelle de la conscience, nous n'atfirmons donc aucunement
qu'il s'agisse là d'une réalité parfaitement simple; nous
disons seulement que les parties qu'on y peut distinguer ne sont
que les éléments divisifs d'une unité réelle.
Et ce serait encore aller trop loin que de dire que l'unité de la
1. D'après Herbart, l'être que nous révèlent les phénomènes psychiques, c'est
l'âme, e'est-à-dire une essence réelle et simple avec une qualité simple, qui persévère
en soi, en face d'autres essences réelles et simples. Ce qui nous apparaît comme une
représentation n'est en réalité que cette subsistance même. Il n'y a donc pas de
raison pour que la pluralité des représentations que nous percevons en nous nous
force à introduire dans notre être véritable une pluralité de propriétés et de parties
quelconques. C'est du moins ainsi, semble-t-il, qu'il faut comprendre la doctrine
de Herbart, pour que sa métaphysique ne soit pas trop nettement en contradiction
avec sa psychologie. Ou bien Herbart aurait-il cru que nos représentations sont bien
des subsistances telles qu'on les a définies, des façons immuables de persévérer en
soi malgré toutes les menaces de perturbation, mais qu'elles sont cependant ce qu'elles
nous paraissent? Dans ce cas il se serait rendu coupable de la contradiction la plus
manifeste ou bien il aurait renié, de la façon la plus formelle, le témoignage de la
perception interne.
2. Cf. Trendelenburg, Historische Beitraege zur Philosophie (Contributions
historiques à la philosophie), II, p. 313 sq.
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