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LE MESSAGER DU RHIN
La Bretagne est, depuis quelques siecles, la province
francaise la plus riche en chevaux. Elle en possede en-
viron 400.000 tetes, c'est-ä-dire le huitieme des chevaux
en France. C'est le Finistere qui a les animaux les
plus nombreux. Le cheval est un animal indispensable
dans la ferme bretonne isolee, separee des grandes rou-
tes pär des chemins creux et sinueux. C'est lui qui tire
les machines agricoles : le bceuf n'est utilise pour le
travail aue dans une toute petite partie de la province,
au Sud-Est du Morbihan et dans la Loire-Inferieure.
Partout ailleurs, le cheval est roi. Le cheval breton,
resultat d'une amelioration de la vieille race ind'gene,
est un tres bon cheval de trait et de travail, plus ou
moins lou^d appele « trait breton ». II est tres recher-
che dans d'autres regions francaises et meme ä l'etran-
ger : on trouve des « traits bretons » dans les plaines
ä ble et ä betterave de la region paris'enne, dans les
grands vigjnobles du Languedoc, en Allemagne. en Suis-
se, en Espaene, en Belgique, en Ttalie, en Russie, en
Americme du Sud, en Alsace meme!
La Bretagne est tres riche en bovins. Elle les eleve
surtout pour la fabrication du beurre. La vache bretonne
(qu'elle soit de race pie noire, pie rouee ou
froment) est une tres bonne laitiere. Le lait n'est
vendu qu'au voisinage immediat des villes. Partout
a'lleurs, il est transforme en beurre, tres rarement en
fromace. La production du beurre, en Bretagne, est
cons'derable. Mais tout n'est pas vendu au dehors : au
moins un tiers du beurre fabn'que est consomme ä la
ferme. Ce qui r»eut etre vendu procure neanmo'ns de
beaux profits. D'autres benefices importants viennent
de la vente des veaux. car le pavsan breton ne garde,
parmi les ieunes, que les futures vaches laitieres. Ce-
pendant, dans certaines regions, on eleve des bceufs
d'une race croisee plus apte ä la production d'une bonne
viande : la race « armoricaine », resultat du croise-
ment de la pie rouge avec la race anglaise « durham ».
Mais la grande affaire reste le beurre, dont la fabrication
se fait presque entierement dans les fermes.
C'est lä une difference essentielle avec d'autres regions
beurrieres, comme la Normandie ou les Charentes, dont
la production est realisee surtout par des etablissements
industriels. Chez nous, la fernvere est maitresse de ce
travail. Elle le faisait autrefois d'une maniere primitive.
Aujourd'hui, beaucoup de perfectionnements ont ete
introduits : barattes perfectionnees, ecremeuses centri-
fuees, malaxeurs, souvent mus par l'electricite. Cepen-
dant, malgre la qualite naturelle du beurre breton, il
n'est pas aussi cote sur le marche paris'en que les beur-
res industr<'els charentais ou nonnand. Chaque ferrrrere
a sa maniere. et les eoüts real'ses different beaucoup.
Les pavsans bretons devraient bien orgamser entre eux
des ateb'ers cooDerat;fs (comme en Charente) qui don-
neraient ä la production du beurre une uniformite ca-
pable d'en augmenter considerablement le prix.
*
VoUä. amis alsaciens, un bref tableau de l'agricul-
ture bretonne par un ecrivain qui est deux fo;s petit-
fils de pavsans bretons. La Bretagne a moins de dons
naturels que I'Alsace. Elle n'a pas ses bmons fertiles
et n'est pas. comme eile, un carrefour de vo'es com-
merciales. Mais ses laboureurs, profondement attaches
ä leurs fermes menues, ont la meme tenacite que leurs
freres d'Alsace, et cette caboche dure a sans doute ete
chez nous le don le plus utile de la Providence.
Maurice Le Lannou,
Professeur ä l'LIniversite de Rennes.
TEURE LORRAINE
La deuxieme guerre mondiale a malmend durement la
Lorraine et y a accumule les ruines. Partout ce sont des
villages en partie ou presque entierement detruits, des
fermes brülees, des clochers abattus, des villes oü des
quartiers entiers sont nettoyes, partout la terre est re-
tournee par les obus, des tranchees sillonnent le sol,
des casemates, des abris se suivent, du fil de fer bar-
bele arrete les pas. Et partout se dressent des croix. Et
la douleur ravage les cceurs. Eh oui, le symbole du pays
c'est bien la croix de Lorraine, la croix double, et double
aussi a ete la souffrance.--
Terre lorraine! Detournons-nous de ce spectacle de
guerre et de malheur. Detournons-nous egalement, si
vous le voulez bien, de la region industrielle (pourtant
si importante) qu'on ne connait que trop bien : region
des bassins miniers, du feu, du charbon, des hauts-four-
neaux, des cheminees gigantesques, de la suie, de la
fumee, region des localites laides et mornes, des quartiers
ouvriers uniformes et sales oü circule une popula-
tion mitigee, tandis que le sous-sol est creuse d'un
dedale de couloirs et de galeries, oü jour et nuit tra-
vaillent les mineurs, pauvres bougres en danger de mort
continuel et dont le travail est tellement utile pour le
relevement du pays.
Mais ce n'est pas lä la vieille Lorraine. Nous quit-
tons les derniers contreforts des Vosges, couvertes de
forets epaisses, et nous penetrons dans le cceur du pays.
Doucement les collines montent, descendent et se don-
nent la main. Le sol presque partout argileux ä la sur-
face est lourd et tenace, le travail exige toutes les for-
ces du laboureur qui doit lutter peniblement contre
cette terre jaune et grisätre, grasse et compacte. Mais
l'effort est recompense : lä ce sont des champs oü au
printemps la terre est retournee lentement, oü en ete
mürissent les bles dans lesquels joue et se berce le vent,
lä ce sont de grandes etendues vertes, de riches pätu-
rages oü paissent les vaches brunes ou noires et Manches
, lä encore, surtout en haut des croupes, s'etendent
des forets de chenes et de hetres aux troncs enormes,
oü dans le sous-bois dense on rencontre une infinite
de plantes, de baies et de Champignons. Les collines se
suivent, mais irregulieres, suivant les caprices des multiples
petits cours d'eau qui s'en vont vers la Moselle ou
vers la Sarre. Toujours le regard plane sur cet horizon
etage ou apparaissent dans le lointain, dans la lumiere
tamisee et agreable, de nouvelles rangees de collines, de
couleurs fines, surtout vers le soir, et qui remplissent le
cceur de tendresse et d'une nostalgie tres douce. De
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