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LE MESSAGER DU RHIN
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ami W. Arme d'un fusil-mitrailleur,
il saute dans une chenillette et se
fait conduire vers le poste. II ap-
proche, releve la petite tourelle de
protection pour tirer sur les Alle-
mands. Mais une quinzaine de mi-
trailleuses lourdes sont en place et
ouvrent le feu avec des munitions
anti-char. Le malheureux sous-lieu-
tenant est perce de nombreuses bal-
les et tue instantanement. Le con-
dueteur Risser de Colmar est blesse
grievement, du plomb fondu penetre
ä travers les visieres dans ses yeux
et le rend aveugle.
C'est le denouement tragique de
cette longue lutte de dix heures
pendant lesquelles une petite poi-
gnee d'hommes, sous la conduite
d'un chef tenace et brave, a tenu
tete courageusement ä deä effectifs
nombreux et bien armes, leur a in-
füge de lourdes pertes et a retarde
longtemps leur progression. Le sous-
lieutenant W. et les hommes du poste
B 105 sont de ces heros obscurs de
1940 qu'on oublie trop facilement.
S.
^z^4 ttaaetf nos
VILLAGES SINISTRES
Plus d'une annee a passe depuis
la grande catastrophe qui a frappe
tant de nos villages alsaciens. On
se rappelle avec douleur ces se-
maines d'angoisse : les obus hur-
lent et eclatent, arrachent les
toits, eventrent les murs, boule-
versent les champs et les vignes,
incendient les maisons, les gran-
ges, les etables, dechirent les
betes, blessent et tuent les hommes
. Les nuits sont eclairees de
lueurs rouges et sinistres, hommes,
femmes, enfants, vieillards s'en-
tassent dans les caves, passent des
heures, des jours, quelquefois des
semaines affreuses, prives de tous
les soins, apeures, endoloris, tan-
dis qu'autour d'eux les destruc-
tions augmentent. Que le temps
de l'attente est long ! Mais alors
les liberateurs avancent victo-
rieusement, ce sont les derniers
coups de canon, les dernieres
rafales de mitrailleuses, et dans
une offensive irresistible Fr'ancais
et Americains repoussent l'enne-
mi sur la rive droite du Rhin ou
au delä de la frontiere Nord de
l'Alsace.
Mais nos paysans ont ete lour-
dement eprouves. Quand le prin-
temps vint, l'immensite de la
catastrophe devint visible : les
champs et vignes devastes et sou-
vent mines, les instruments agri-
coles en grande partie detruits,
les animaux de trait et d'elevage
perdus la plupart, pas de semen-
ces, pas de machines, pas de
voitures, pas de maisons, pas
d'ecuries. Mais le paysan alsacien,
qui au cours des siecles a dejä
passe par des catastrophes terri-
bles et par des miseres innom-
brables, ne se laisse pas abattre
facilement. II n'attend en premier
lieu de l'aide que de lui seul. II se
met au travail. II ne craint pas les
difficultes. II commence ä debla-
yer sa maison, sa propriete, met
en ordre sa charrue, commence ä
labourer, se procure, comme il le
peut, des semences, donne ses
soins aux vignes, aux prairies, en-
leve les fils de fer barbeles, com-
ble les trous.
Chapeau bas devant le paysan
alsacien et ses efforts fournis pendant
l'annee 1945 et au debut de
1946 ! Regardez les villages, les
champs, les vignes \ Inlassable-
ment le travail continue. On peut
facilement faire la comparaison
avec l'etat de choses au printemps
de l'annee 1945.
Certes, les maisons ne sont pas
reconstruites, mais les reparations
sont faites partout oü c'etait pos-
sible et souvent avec des moyens
de fortune, que le paysan s'est
procure lui-meme. Partout, oü les
maisons ont ete detruites entiere-
ment, tout est ränge, les debris
sont enleves, les pierres utilisables
entassees en grands carres, tout
est pret pour la reconstruetion qui
se fait attendre trop longtemps au
gre de nos paysans. Mais ce sont
surtout les champs et les vignes
qu'il f'aut regarder. La guerre a-t-
elle passe ici, atroce et meur-
triere ? On ne le dirait pas. II n'y
a presque plus de trace, sauf aux
arbres et dans les bois. Les champs
sont tous plantes, le ble pousse et
se dore en grands rectangles al-
longes, les champs de trefle, de
pommes de terre, de betteraves
fourrageres, de tabac, mettent
leurs taches vertes, les vignes
sont un plaisir pour les yeux, bien
travaillees, soignees, promettant
de bonnes vendanges. II est ex-
tremement rare de trouver un
champ ou un vignoble abandonne
ou en friche. Cela fait du mal au
cceur de l'Alsacien. II a sa fierte :
c'est la beaute et la fertilite de
ses champs. Partout, les paysans
et les vignerons sont au travail,
sans interruption, sans reläche,
häles par le soleil, les traits cris-
pes, inondes de sueur, mais infati-
gables et tenaces. S'il n'y avait
pas ä l'horizon la Silhouette du
village en ruines, les taches jaunes
et laides des baraques en bois,
jamais on ne croirait que la guerre
a sevi dans cette campagne, il y a
dix-huit mois.
Et dans quelles conditions ces
gens travailknt-ils souvent ! Iis
ont quelque part un petit logis
etroit, oü la famille peut ä peine
remuer, une ou deux picecs, pa-
rents et enfants doivent dormir
dans la meme chambre, voire dans
le meme lit! Bien souvent ce logis
est tres eloigne de leurs champs
et vignes, et jour par jour il faut
faire un chemin d'une heure et
plus pour y arriver, on doit pren-
dre le dejeuner sur le pouce, et
on ne revient chez soi que tard
dans la soirce.--
Je passe par ce village que j'ai
bien connu et aime jadis. Je me
rappelle la nie principale large et
un peu tordue avec les maisons
alsaciennes au poutrage apparent
et pittoresque, aux pignons hauts,
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