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LE MESSAGER DU RHIN
Defile de jeunes Bretons un jour de fete
indignation. II avait saisi la piece de monnaie qui
lui etait presentee, et, assis par terre, la faisait sau-
ter joyeusement dans ses doigts.
— -Allons, debout et en route, commanda le
sous-officier, tout ä fait rasserene.
— Une minute, s'il vous plait, declara le garcon-
net : je voudrais mettre d'abord mon argent en
sürete.
Et il courut remettre l'ecu de six livres ä sa mere
en disant quelques mots en breton.
— Pas bete, le gamin, murmura le chef amuse, il
a peur qu'on lui reprenne sa prime et recommande
ä sa mere d'en avoir soin. C'est un malin, et nous
aurons en lui, je crois, un guide debrouillard.
En meine temps rassemblant ses hommes, il les
formait en rangs, placait le pretre au milieu, entre
deux soldats, et donnait l'ordre du depart. Jobic
marchait en tete. II semblait bien connaitre la fo~
ret, en effet, et coupait ä travers bois d'un pas rapide
et sür. Au bout d'une heure, on atteignit un
epais taillis que traversait un sentier etroit et tor-
tueux. L'enfant s'y engagea resolument et force fut
ä la petite troupe qui le suivait de s'echelonner en
file indienne. Les soldats avancaient Tun derriere
l'autre et poursuivirent ainsi leur chemin pendant
un bon quart d'heure.
A ce moment, le roucoulement doux et timide
d'une tourterelle se fit entendre tout pres de lä.
Comme si ce chant d'oiseau eüt ete un signal at-
tendu Jobic piqua des deux brusquement dans le
fourre, oü il disparut en un clin d'ceil. En meme
temps, les branches du taillis craquerent et une
trentaine de paysans se jeterent sur les soldats qui
furent terrasses et desarmes. Quelques minutes plus
tard, tous gisaient sur le sol solidement garottes.
— Vous etes libre, Monsieur le eure, prononca
alors le chef des paysans, en saluant respectueuse-
ment l'abbe Garrec. Avertis par la mere Kerneur,
nous sommes venus en häte vous delivrer, et gräce
ä son fils, un vaillant gars, nous avons reussi par
la meme occasion un joli coup de main : vingt pri-
sonniers et autant de fusils qui completeront notre
armement. Vous pouvez feliciter le gösse, Monsieur
le Cure.
En prononcant ces paroles, le paysan s'ecarta,
demasquant le garconnet, qui, tout essoufle, ecou-
tait, immobile et rougissant de plaisir, l'eloge dont
il etait l'objet. Le pretre l'embrassa avec emotion :
— Tu es un brave petit homme, Jobic, dit-il,
aussi intelligent que courageux. J'aurais du mieux
te connaitre et je m'excuse ici publiquement de
t'avoir injustement soupconne. Quant ä vous, mes
amis, je vous remercie d'etre venus avec tant de
cceur ä mon secours, mais je vous adresse en meme
temps une priere : c'est de ne pas maltraiter ceux
qui, en m'arretant, n'ont fait qu'executer une con-
signe et remplir par consequent leur devoir. Gar-
dez-les simplement comme otages destines ä etre
echanges contre autant de Chouans prisonniers.
Faites cette promesse ä votre vieux pasteur qui,
apres ce que vous venez de faire pour lui, sait que
vous ne refuserez pas d'obeir ä sa voix.
— Votre desir sera exauce, Monsieur le Cure,
repartit le paysan, et il ne sera fait aueun mal ä ces
soldats. D'autant, ajouta-t-il avec un sourire enig-
matique, que le vrai coupable, celui qui meritait un
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