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LE MESSAGER DU RHIN
pas, et si ce n'est que 9a, bon Dien, on se ma-
riera.
— Ah ben, et avec qui?...
— Avec la Alaiou quoi, puisqu'on va lä-haut. »
Le pere Humbert tiqua. Un lui avait dejä rap-
porte que son Julien voyait plus souvent qu ä son
tour la filie du Maiou. 11 se laissa aller ä ses pen-
sees : Line vaurienne, une rouleuse. Qa roulait dejä
quand ca allait ä l'ecole? £a n'en pouvait rien. C,Ja
avait cela dans le sang. Sa mere avait eu trois gos-
ses, deux pour sür pas de son homme. Et puis des
gens de rien. Iis laissaient tout aller au diable. Ou
bien ils vendaient pour acheter une belle tete, et
puis un beau jour eile allait ä rien. Comme leur
taureau, une belle piece, mais l'annee prochaine,
il ne vaudra plus rien! Savent pas les soigner.
La mere comme la filie, 9a laut etre de toutes les
fetes. L'homme, il n a rien ä dire dans la baraque.
Non, pour sür, c'etait rien, absolument rien pour
son Julien... D'abord, il en etait sür. Son Iiis ne
pouvait pas penser ä 9a. C'etait pas serieux.
Pour s'amuser, peut-etre. Mais il lui en dirait pour-
tant un mot. Avec des farces pareilles, on ne sait
jamais! C^a vous fait un paquet, et 9a vous coile 9a
sur le dos. Et puis, des gens de pas de religion.
Non, ce n'etait pas possibie. Ii lui en causerait
quand meme au Julien, car avec ces jeunes....'
Et les trois continuaient ä grimper lentement les
Haut-Bois. Le Julien sifilait de tout son cceur,
entremelant ses lacis de meiodie d'un « hue », d un
« ha'i Roussette » energique. D'ailleurs on arrivait
chez le Maiou.
« On vient au Bceuf.
— Eh bien, entre Jules, tu prendras une goutte. »
Le Julien prend le licou et reste dehors avec la
vache. II admire, en chantonnant, le petit viliage
qui s'etire tout au fond. En meme temps il attend...,
une belle filie, cette Maiou, un peu legere qu'on ra-
conte, mais il s'en est jamais aper9u, avec lui tou-
jours tout comme il faut. Oui, bien au contraire. IJ
y a tant de mauvaises langues dans ces villages. Et
puis il l'aime..., 9a est venu tout doucement, comme
cela. Et il Laura. Elle est pauvre... et puis apres?
II est riche pour deux. Pas plus coureuse qu'une
autre, la Louise.
« Julien, tu reves? »
La voici juste qui apparait. Elle vient de jeter du
foin en bas. Des brins secs lui font une parure dans
sa chevelure toute aux vents. Elle est tout sourire.
Un joli tablier, qu'elle a vite ete mettre, la serre ä
la taille et releve son allure un peu filie de ville.
C'est justement cela qu'on lui reproche. Et lui,
Julien, c'est le chic qu'il lui trouve. Pas balourde
comme les autres jeunes filles du viliage.
« Te voilä, Louise? Eh bien, ousqu'il est votre
taureau?
— Laisse le taureau tranquille.' Les vieux boivent
la goutte. On a le temps. »
Et d'un geste qu'elle recherche elegant, eile vient
s'accouder sur la Roussette. Iis se parlent :
« Tu sais, il parait que ceux qui sont pas maries,
il faudra partir.
— Alors... Julien... il te faudra partir?
— Non... et si c'etait vrai... on pourrait pas des
fois se marier?
— Qu'est-ce que tu dis lä, Julien? Moi, la Maiou,
avec le Iiis Humbert, tu n'y penses pas?... Jamais
ton pere ne voudra de cela... et moi non plus] Si
j'avais su, je ne t aurais pas cause.
— Pourquoi, Louise, puisque... je t'aime?
— Tu sais bien ce qu'on raconte de moi.
— Je n'en crois rien, Louise, tu le sais bien. Tu
me Las dit que c'etait faux. Et puis... je t'aime!
— Mais, Julien, ton pere?... et puis je suis plus
vieille que toi!
— Oii! un an... Mon pere... »
A ce moment, le Juies et le Maiou sortaient de la
cuisine. Le pere jeta un regard interrogateur sur le
visage un peu rouge de son tils. Detachee, la rille
sount et poiiment salue.
« Bonjour, Monsieur Humbert, vous etes tot ce
matin. Je me sauve, car ces allaires-lä c'est rien
pour les « Baiesses », comme vous dites. »
Humbert ne repond pas. Dejä, d'ailleurs, le
Maiou est en train de sortir le jeune et vigoureux
taureau. Avec peine il le maintient.
« Une sale bete. Elle me demonte toute l'ecurie.
Je ne veux pas la garder. C'est bon pour des jeunes
de tenir des taureaux, mais pas ä mon äge. £a
donne trop d'ouvrage. »
Humbert reflechit. Une belle bete, et il veut dejä
la vendre. Peut-etre qu'il ne La pas encore payee.
Aussi, l'operation terminee, le pere fait signe au
fils d'attendre.
« Dis, Maiou, combien que tu le ferais ton taureau
?
— Tu veux faire du commerce? Ou c'est seule-
ment maniere?
— Eh, j'avais envie d'acheter une genisse, mais
comme tu parles de vendre ton taureau, 9a pourrait
m'interesser.
— Bien alors, viens prendre une goutte, on
pourra causer. »
La cuisine du Maiou etait vaste et propre. Si sa
femme et sa filie ne valaient pas grand'chose, du
nioins tenaient-elles le tout reluisant, net. La
Maiou etait une petite femme trapue, au verbe
haut. Elle commandait rondement son mari, mais
dans un commerce eile ne s'en melait pas. C'etait
l'affaire des hommes.
« Faut-il vendre le Jansey?
— Fais ce que tu voudras, Maiou. Mais qu'est-ce
que tu veux garder la bete-lä tout l'hiver dans ton
ecurie. T'as pas de foin assez.
— Eh bien j'en voudrais 700 Marks...
— Dis, c'est eher. Le Chanleine en a achete un
beau, le pareil que le tien, pour 525.
— Je sais, je Tai vu, mais il ne vaut pas le mien.
Le Jansey, c'est de la race. Le veterinaire qu'etait
en haut chez le Groshens la seniaine derniere il l'a
dit, il n'y a pas un taureau cemme le mien dans
tout le Ban de La Roche.
— Je t'en donne 550...?
— Je ne peux pas, j'y perdrais. Le Damien d'ailleurs
dimanche dernier, chez le Wilhaume, m'en
offrait 600.
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