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LE MESSAGER DU RHIN

Elle dit d'un air aussi naturel que possible : « Pas si
vite, mon brave! ■Voyez-moi ca; on en veut ä ma
bourse!... Mais sais-tu seulement que les pommes
ne valaient rien au marche! Mais, je vais te la
montrer tout de meme, ma bourse! »

Tout en parlant eile s'etait echauffee et sa main
maintenant fouillait dans sa charrette sous le gros
sac de toile, oü eile rencontra enfin le manche du
parapluie qu'elle y cherchait. Le voleur pressentit
1'embüche et lächa la charrette pour etendre son
bras. La tante fut plus leste : la voiturette, pous-
see ä l'improviste par eile, rentra brutalement dans
le bas-ventre de l'assaillant et lui fit faire une re-
verence inattendue; aussitöt il recut un formidable
coup de parapluie sur la tete, ce qui derangea le
masque. L'homme esquissa un geste pour le redres-
ser ou l'enlever, car il n'y voyait plus. Mais un
deuxieme coup le toucha au nez, suivi d'autres qui,
accompagnes du cliquetis des baguettes de l'arme
improvisee, tombaient drus comme grele sur son
cräne, sur son dos et par tout son corps. Tout en
s'acharnant ainsi sur le bandit deconcerte, ma tante
criait « au voleur! » de toutes ses forces.

Le masque enfin tomba, et eile reconnut le vaga-
bond du matin. Tout en frappant fort eile cria :
« Ah, je te retrouve, bandit, voleur, brigand, cou-
peur de bourse! » Mais, peut-etre, meme cette furie
dechainee sur l'individu n'eüt-elle pas empeche
celui-ci de prendre sa revanche, si ä cet instant il
n'avait percu, ä l'entree du chemin creux, un bruit
de galoches et vu apparaitre un homme, le garde-
champetre, muni de son inevitable gourdin. L'homme
de la loi se precipita aussi vite que le lui per-
mettait son äge et en soufflant fort dans ses gran-
des moustaches napoleoniennes.

Le brigand n'attendit pas l'arrivee de ce renfort.
II tourna le dos et deguerpit, toujours poursuivi par
ma tante et les coups d'un parapluie qui n'etait plus
qu'une loque. II escalada le talus et disparut dans
les broussailles.

Quant ä la vaillante pavsanne, eile retourna pres
de sa charrette, remit de l'ordre dans ses vetements
et redrcssa son bonnet de vieille femme. Puis au
garde-champetre, qui arrivait enfin sur les lieux,
eile dit : « Si c'est pas malheureux! — Un si bon
parapluie, et qui m'a servi vingt ans, casse sur le
dos d'un malotru! »

Le sjarde-champetre voulut, ä sa facon, se lancer
dans de longues explications, comment il avait db-
serve et suivi toute la journee le bandit, qu'il avait
finalement perdu de vue... La tante 1'interrompit :
« Oust! » fit-elle. « Assez bavarde! Allez plutot
voir, pendant que je rentre, de auel cote il s'est
sauve. II faudra l'attraper, ce gaillard-lä, et 1'amener
ä Monsieur le Maire. »

Mais on ne devait plus le revoir. L'oiseau s'en-
volait comme il etait venu.

*

Dans le village l'emotion etait evidemment gran-
de et l'incident ajoutait une sombre tonalite de

plus ä l'ombre du chemin-creux. Le garde-champetre
, qui de loin avait assiste ä la bataille, avait
raconte celle-ci d'une facon naive et fort epique;
il s'etait reserve le röle du « deus ex machina »;
mais on le connaissait. « Quelle fiere et quelle vaillante
femme, que cette tante Odile! » disait-on.
« Avait-elle recule dans ce chemin hante, devant ce
noir bandit masque! Que non! »; et les femmes de
frissonner, rien qu'ä la pensee que cela aurait pu
leur arriver ä elles.

Tante Odile etait devenue l'heroi'ne du village.
Elle l'etait plus encore quand on sut par le maire le
contenu d'une conversation qu'avaient eue entre
eux le eure et l'instituteur. Le eure aurait dit :
« Tante Odile, mais c'est le symbole de nos villa-
ges, de tout notre pays dans ces temps modernes.
Nous sommes tous lä, sis sur la grand'route, qui
nous amene tout le mal; c'est le chemin qu'em-
pruntent le diable et ses serviteurs, qu'il faut chas-
ser comme eile l'a fait du bandit. » Mais l'instituteur
de repondre : « II n'en etait pas toujours ainsi.
N'oubliez pas que c'est sur la route aussi que nous
sont venus les premiers predicateurs et les grands
civilisateurs. » — « Helas, vous ne faites pas bien
de rappeler combien les temps sont changes. Les
routes, les chemins de fer, les voitures automobiles
et ces aeroplanes que l'on voit maintenant, vont
nous apporter non seulement les biens de la civili-
sation, mais aussi son poison. qui engendre la de-
composition et la pourriture de nos ämes. La gene-
ration forte, celle de la tante Odile, celle qui ne
craint pas le diable parce que son ideal est le tra-
vail et la priere, celle-lä est vieillissante; et les
nouvelles aui montent, ne vont-clles pas composer
avec le malin? Oh, mes amis, prenez la tante Odile
comme exemple : eile ect rude, mais eile est forte! -
Le maire aurait alors dit : « N'ayez crainte, nous
commes lä, nous les vieux, et nous saurons bien
former les jeunes ä notre ecole. »

Le calme revint bientot dans le village, oü tante
Odile continua ä etre admiree et citee en exemple.
Elle mourut une quinzaine d'armees apres, brave-
ment et vaillamment, comme eile avait vecu. Et le
village continue ä vivre sa vie traditionnelle parmi
Ifs coteaux et les arbres, tout pres de la route. du
chemin de fer et depuis peu meme d'un .erarid aero-
port : mais ces moyens de communication modernes
n'ont iusqu'ä ce iour pas pu le troubler dans
son äme; il les voit bien. il les connait, il en usc
meme, mais ;] s'eri mefie. Ne fait-il pas bien?

Aux longs soirs d'hiver, si intimes autour du
poele oui ronfle dans une ambiance chargee d'es-
poirs. de reves et de Souvenirs, il est fort probable
oue Ton parle moins des gros avions qui ronronnent
dans le ciel avant de se uoser ä Blotzheim, que peut-
etre de cette tante Odile du village, dont le Souvenir
s'estompe et se transforme insensiblement en
une de ces figures legendaires dont l'evocation pro-
voque en nous des remous profonds, parce qu'elles
sont d'un symbolisme universel et reel.


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