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LE MESSAGER DU RHIN
apostrophes et ä repondre avec une hargne dont
se ressentait l'eclat du ton et l'energie du verbe.
De rue adjacente, point.
II s'en fut jusqu'ä la prochaine Station du metro
pour y trouver un agent. En effet, un brave homme
d'agent, vetu de gros drap bleu et fortement mous-
tachu, un ancien, faisait les cent pas en attendant,
si je puis dire, le client.
Le pere Durassier toucha le bord de sa casquette
et demanda :
— La rue adjacente, s'iou plait!
L'agent fit une moue en entendant ce nom inso-
lite et regarda son interlocuteur avec condescen-
dance :
— Adjacente, que vous dites? Nous allons voir ca.
II rejeta les ailes de son mantelet, fouilla dans
sa poche, en tira un crayon court, puis un carnet
jauni. II passa lentement son pouce sur le bord
de sa levre et commenca de feuilleter son calepin,
mais il avait tant de fois fait ce geste qu'il n'arri-
vait pas ä trouver la bonne page.
Enfin, eile voulut bien venir se pla-
cer sous scs yeux; il la parcourut
severement comme pour evoq'uer
ä lui la rue demandee. II recom-
menca une fois, deux fois et finit
par regarder Durassier par-dessus
son carnet. Est-ce que ce petit
vieux-lä ne se payait pas sa tete?
Mais non, le brave Durassier at-
tendait timide et, cette fois, tout
ä fait inquiet. L'agent n'osa pas
lui avoue*r sa deconvenue. II vit
un de ses collegues qui passait a
sa portee et le heia :
— Dis donc voir, toi, tu la
connaitrais, la rue adjacente?
— Adjacente? Non, jamais en-
tendu parier, mais tu dois la
trouver dans l'indicateur.
— Eh ben, mon vieux, je la trou-
ve pas. Regarde donc toi-meme.
Le second agent regarda et eut
un sourire entendu :
— Parblcu, tu cherches ä A.
C'est ä H qu'il faut chercher :
rue Hadjacente.
Malheureusement la rue adjacente
n'existait pas plus ä la
lettre H qu'ä la lettre A et le
premier agent en profita pour re-
prendre l'avantage :
— Eh ben, tu vois : tu voulais
faire le malin et, pour en finir,
t'es pas plus avance que moi.
Un troisieme agent qui en avait vu deux en con-
ciliabule, pensa qu'il se passait quelque chose d'a-
normal et vint en renfort. C'etait un jeune, celui-
lä, un degourdi. Quand les deux lui eurent fait
part de leur perplexite, il ne courut pas le risque
de chercher dans le carnet et de diminuer, en cas
d'echec, le prestigc de l'autorite, il trancha riet :
— La rue adjacente, eile n'existe pas.
— Cependant, disait Durassier, mon patron...
— Allez dire ä votre patron, repliqua le troisieme
agent, qu'il se trompe.
II y fut, le pere Durassier. II y fut et il expliqua
ä son patron qui n'y comprenait rien que les
agents s'etaient mis ä trois pour ne pas la trouver,
la rue adjacente.
— Mais, mon pauvre Durassier, la rue adjacente:
c'est la rue voisine.
— Alors pourquoi que vous l'avez pas dit tout
de suite et pourquoi qu'y le savent pas, « eusses »,
les flies, que la rue adjacente, c'est la rue vc'Hne.
J'y retourne chez la diente, et si j'en rencontre un
des trois, qu'est-ce qu'j'vas lui raconter!
Chartres — Bords de l'Eure
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