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LE MESSAGER DU RHIN
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Le detective gagna la porte et se perdit dans les
tenebres.
Peu lui importait d'avcir perdu de vue les ban-
dits, il savait que Pedro, sorti avant lui, les filerait
sans leur donner l'eveil. Ses Instructions etaient
claires : il lui fallait ä tout prix decouvrir le domi-
cile de Tun d'eux. Ceci fait, il reviendrait trouver
son chef au rendez-vous fixe.
Ce fut naturellement vers ce lieu de rendez-vous
que s'achemina Rodriguez. II marchait d'un pas
tranquille, n'ayant plus de röle ä jouer, et il arriva
ainsi sur une grande place eclairee par de puissants
globes electriques. Alors il tira sa montre et rnur-
mura :
— ] 0 h. moins quinze. J'ai le temps de reflechir.
Pedro ne peut etre ici avant 11 heures... Voyons,
comment pourrais-je commencer mon enquete?...
II me manque Tun des elements les plus impor-
tants. Quelle est la personne que l'on enleve? Lo-
giquement, ce doit etre une femme que l'on enleve
... LIn hemme se defend. II est plus lourd...
arme, generalement... Donc, c'est une femme...
Premier point... Je pars de ce principe : il s'agit
d'une femme...
Ici le detective s'interrompit et, suivant son ha-
bitude, lorsqu'il etait embarrasse, se mit ä marcher
de long en large tout en poursuivant ses deduc-
tions.
— Une femme, repeta-t-il, une femme riche, naturellement
, puisqu'on veut obtenir d'elle une cer-
taine somme!... Line femme riche?... II y en a plu-
sieurs ici... Eh!... mais Mr Puck est arrive depuis
peu, il a une fille tonte jeune, comment n'y ai-je
pas songe?... Le cercle se resserre... Que dis-je? II
devient un point. Ce point : c'est Mary Puck! La
logique est une belle chose... Ah! voici Pedro! II
ne pouvait arriver plus ä propos. S'il ne revient
pas bredouille, nous tenons le bon bout.
Pedro s'avancait vivement; il passa ä cöte de
Rodriguez sans paraitre le reconnaitre et murmura
simplement :
— Ca va!
— Bon! dit Rodriguez, j'y vais.
Et ils s'eloignerent chacun dans une direction
opposee. Cette tactique singuliere les conduisit aux
deux extremites de la place; mais, tandis que Pedro
, prenant une rue peu frequentee, se dirigeait
vers une porte donnant acces dans une maison
d'apparence bourgeoise, Rodriguez, decrivant un
cercle complet, arrivait cinq minutes plus tard
exaetement au meme endroit. Pour un homme ha-
bitue aux ruses de Marfil aueune precaution n'etait
de trop.
Dans une salle encombree de dossiers. Pedro,
ayant donne de la lumiere, attendait son chef :
— Eh bien, questionna celui-ci en entrant, que
sais-tu?
— Peu de chose! Ce Marfil est un terrible homme
. Je ne sais oü il löge mais j'ai l'adresse de Tun
de ses comnlices.
— Lequel?
— Celui qu'il a nomme Juan.
— Comment te l'es-tu procuree?
— Pas facilement. J'ai commence par suivre les
gaillards de loin en nie cachant frequemment, car
Sancho se retournait ä chaque instant. On eüt dit
qu'il flairait ma presence.
— II la flairait, sois-en sür! Continue...
— Apres m'avoir entraine dans un dedale de
rues tortueuses, ils entrerent dans une maison de
mauvaise apparence dont je reussis ä me rappro-
cher. J'attendis pres d'une heure, tapi dans l'ombrc
et affuble, pour plus de sürete, d'une defroque de
mendiant.
— Bien.
— Au bout de ce temps, Sancho et Fun des
complices sortirent. Le deuxieme, Juan, n'etait pas
avec eux.
— Es-tu sür que la maison n'avait pas d'autre
issue?
— Rien ne permet de le supposer. II n'y a aueune
rue derriere. C'est vraisemblablement la demeu-
re de Juan.
— Ce n'est pas une certitude.
Pedro prit un air pique :
— Eh! Senor Rodriguez, dans notre metier, il
faut parfois se contenter de probabilites!...
— Je ne te bläme pas, Pedro, mais il est regret-
table que tu n'aies pas suivi les autres. Sancho est
l'äme du complot.
— Aussi l'ai-je suivi!
— A la bonne heure! Qu'a donne sa poursuite?
— Rien!
— Pourquoi?
— Parce qu'arrives en un lieu desert ä l'extre-
mite de la ville oü les attendait une auto sous pres-
sion, les bandits ont saute dedans. En un clin d'ceil
ils avaient disparu.
— As-tu remarque la direction qu'ils prenaient?
— Celle des montagnes.
— C'etait ä prevoir. Sancho a une cachette... II
faut le gagner de vitesse... II faut...
Brusquement le detective s'arreta, puis il se mit
ä arpenter la piece comme il avait fait une heure
auparavant sur la place inondee de lumiere. Pedro
liabitue aux manieres de son chef, jouait avec un
coupe-papier, attendant qu'il donnät ses ordres.
Cela dura cinq bonnes minutes, puis la course prit
fin.
— Pedro! dit ä voix basse Rodriguez, c'est sur
Juan que se fonde mon espoir. Tu vas prendre qua-
tre hommes et demain vous le cueillerez au saut
du lit. S'il n'est pas devant moi ä 8 heures dans
ce cabinet, la partie est perdue!
Sur ces mots le detective serra la main de son
second et sortit.
Pedro, humilie de la facon dont Rodriguez l'avait
juge, etait resolu ä prendre sa revanche, et il s'en-
toura de precautions telles que Juan ne püt lui
echapper. II fut saisi ä l'aube par quatre hommes
vigoureux, ficele comme un saucisson et jete dans
une auto qui le deposa ä l'heure fixee dans le cabinet
de Rodriguez.
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