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LE MESSAGER DU RHIN
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Ayant dit ces mots, Rodriguez ouvrit la porte
et Juan se retrouva dehors, plus convaincu que
jamais qu'il etait le jouet d'un cauchemar.
A peine le detective se trouva-t-il seul qu'il ap-
puya sur un timbre. Un policier parut.
— Faites venir Pedro! dit-il.
Un instant plus tard, celui-ci entrait. En voyant
que Juan n'etait plus lä il reprima avec peine un
geste d'etonnement. Rodriguez se mit ä rire.
— Tu cherches Juan? fit-il.
— C'est vrai!
— II est en liberte!
— En liberte?...
La figure de Pedro refletait une teile stupeur que
Rodriguez en eut pitie :
— Tu vas comprendre, dit-il.
Pedro leva les sourcils d'une facon comique et
jeta ä son chef un regard qui signifiait clairement:
— J'ecoute. Mais vous ne m'empecherez pas de
penser que c'est une bevue.
Rodriguez ne se meprit pas sur l'expression de
ce regard, mais eile le laissa totalement indifferent;
il reprit avec le plus grand calme :
— Je sais, Pedro, ce qui se passe en ton esprit.
Tu songes ä part toi : c'etait bien la peine de ris-
quer ma peau ä suivre les bandits, puis d'arreter
l'un d'eux pour qu'on le reläche moins d'un quart
d'heure apres!
Pedro eut un sourire ironique.
— Je suis ravi, fit-il de votre perspicacite. Vous
savez si bien ce que je pense que cela m'evite la
peine de vous le dire!
— Cette franchise t'honore, Pedro, mais eile fait
tort ä ton jugement.
— Qu'entendez-vous par lä?
— J'entends que Juan ne m'etait plus utile puis-
que j'avais reussi ä le faire parier.
— Ii a parle? Evidemment, c'est autre chose!
Mais a-t-il dit la verite?
— Au point oü en etaient les choses, il n'avait
plus interet ä la cacher. D'ailleurs, tu le sur-
veilleras.
— Quoi? vous voulez?...
— Je veux te faire gagner tes galons d'inspec-
teur!
— Ah.'... C'est different!... Je ferai ce que vous
m'ordonnerez.
— Voilä qui va bien. Juan travaille pour nous.
Et cette fois, mon brave Pedro, si Marfil n'est pas
le diable en personne, nous le prendrons dans ses
filets!
— Je le souhaite plus que jamais, apres ce que
vous m'avez dit; mais, voyez-vous, senor Rodriguez
, c'est peut-etre le diable en personne! Je ne
me permettrai pas de juger vos actes, mais, ä votre
place, j'aurais garde Juan.
— Et tu aurais fait une faute. Sancho ne le
voyant pas revenir, aurait flaire un piege, il aurait
change ses plans, remis l'enlevement ä une autre
date, et, cette fois encore, il nous eut glisse entre
les doigts.
Pedro ne riait plus; il regarda de nouveau son
chef, mais cette fois avec admiration.
— Vous etes plus fort que moi, fit-il.
— Je l'espere bien, repondit Rodriguez, reste ä
savoir si Marfil se mefie. Surveille Juan, assure-toi
qu'il joue son röle... et tout ira bien!
— C'est-ä-dire?.,.
— J'ai commence un rapport que voici. II n'at-
tend plus que la conclusion pour partir ä la direc-
tion. II depend de toi qu'elle soit parfaite: c'est ta
nomination qui est au bout!
Pedro ne trouva pas de paroles pour repondre,
il salua deux fois, gagna la porte ä reculons et
sortit en chancelant comme un homme ivre. Reste
seul Rodriguez se frotta les mains :
— Encore un! murmura-t-il, les atouts me vien-
nent. Cette fois je le cueillerai!
Les quelques jours qui suivirent mirent la patien-
ce de Rodriguez ä une rude epreuve. Pedro avait
beau guetter l'instant favorable, il ne pouvait join-
dre Juan qui ne quittait plus Sancho et Martino.
Jouait-il franc jeu? Avait-il averti ses complices?
II etait difficile de le savoir. Rodriguez, bien qu'il
cachät soigneusement son anxiete, n'etait pas sans
eprouver une serieuse inquietude. II engageait avec
Marfil une partie serree dont il n'etait pas certain
qu'il sortit vaingueur. En laissant la liberte ä Juan,
il avait tente un coup d'audace. Bien qu'il ne vou-
lüt pas se l'avouer ä lui-meme, se fier ä la parole
d'un bandit, c'etait terriblement risque.
Le mercredi soir, vers 10 heures, comme il s'ap-
pretait ä gagner sa chambre, Pedro entra dans son
cabinet, il avait un air satisfait qui n'echappa pas ä
Rodriguez :
— Les nouvelles sont bonnes? demanda-t-il.
— Oui! repondit Pedro, c'est moi qui les ai ser-
vis ä table; pour un soir je suis devenu garcon de
restaurant.
— Pauvre Pedro! Je te revaudrai cela!
— Je l'espere, car jamais une affaire ne m'a don-
ne un mal pareil. En trois jours, j'en suis ä mon
quatrieme deguisement. J'ai ete tour ä tour : de-
bardeur, mendiant, chauffeur et garcon, je ne vous
cache pas que je suis ereinte.
— Tu te reposeras vendredi. Arrive au fait! J'at-
tends tes nouvelles.
— M'y voici. D'apres les mots que j'ai saisis, il
ressort que Juan n'a pas menti. II continue ä jouer
son röle et tout est pret pour demain.
— Bien. J'espere que de notre cöte tout sera pret
aussi. Tu connais mes ordres?
— C'est Lawson qui s'en charge! Je viens de le
voir et je vous assure qu'il a bien fait les choses.
Trente policemen en civil! Tout un detachement,
quoi!
— Ce n'est pas trop! Tu veilleras toi-meme ä ce
qu'ils soient dissemines ä l'entour de la villa. Je
serai lä aussi, naturellement. Va te coucher, tu as
bien gagne ton repos. Demain nous aurons besoin
de toutes nos forces. Avec un gaillard de la' trempe
de Marfil, tout est possible.
Pedro ne se fit pas repeter l'invitation: vrai-
ment, il etait fourbu.
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