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LE MESSAGER DU RHIN
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chaque nouvelle apparition etait suivie d'im roule-
ment infernal que la montagne retournait sour-
dement.
Neuf heures sonnaient ä la tour de l'eglise, quand
la mariee ferma les volets, accompagnee de cette
etrange musique. Elle quitta la maison, les yeux rougis.
Les enfants cesserent de faire du bruit, reculerent
pour la laisser passer et s'eparpillerent, satisfaits
du tour joue. A peine eut-elle disparu dans une
maison amie, que les meneurs du jeu barricaderent
la porte d'entree de Grigou avec toute une cordee
de bois de chauffage.
Quelle ne fut pas la stupefaction de Grigou, le
lendemain matin, quand il voulut traire ses betes :
sa porte ne ceda pas. De la fenetre il vit tout son
bois de hetre soigneusemnt pose contre la porte.
Prisonnier dans sa maison, aujourd'hui, jour de
noce! Bon debut! Que ,dirait la mariee, que dirait
Monsieur le eure, s'il venait en retard ä la ceremo-
nie ou nierne s'il ne venait pas du tout? La sueur
lui perla au front. Triste et mächant quelques con-
siderations sur le destin des hommes, il voulut
chauffer le cafe quand il percut des pas dans la rue.
C'etait le veilleur de nuit faisant la derniere tour-
nee avant l'angelus du matin.
« He, tu vois, ils m'ont enferme, les brigands. Ne
veux-tu pas me liberer?
— Avec plaisir, Grigou.
— Tu as manque hier soir.
— C'etait de ta faute. Pourquoi n'as-tu pas en-
voye les gosses au cafe prendre de la limonade et
de la biere ä ton compte? Tu possedes assez de
terre, pour pouvoir te permettre cette depense sup-
portable. Ne pensais-tu pas ä la coutume du chari-
vari?
— De mon tems les enfants se comportaient
mieux. C'est une honte.'
— Je conviens, ils ont exagere. Iis ont depasse la
mesure, parce que tu t'es fache. Et puis, ils se sont
venges.
— Je sais, depuis cette histoire...
— Tu es devenu un peu le fantoche du bourg.
— Pourtant ils m'ont vole des pommes. J'avais
bien le droit de signaler les voleurs.
— Pourquoi ne leur donnais-tu jamais quelque
fruit quand tu leur demandais un Service?
Fais leur dire de se regaler cet apres-midi chez
Emile, tu auras les rieurs de ton cöte et tu re~
gagneras tout le credit perdu. »
Sans repondre, Grigou placa une bouteille d'eau-
de-vie sur le bord de la fenetre.
« Rechauffe-toi de temps en temps. »
Le veilleur enleva les rondins, prit de temps ä
autre une gorgee. La porte degagee, Grigou endi-
manche parut dans l'embrasure.
« Tu m'enverras ta petite ce soir.
— II n'y a pas de quoi.
— Publie ce matin que tous les enfants peuvent
boire ä ma sante. Previens le cafetier. »
Le soir, en descendant du train qui ramenait au
pays les nouveaux epoux, toute une ribambelle de
garcons et de filles les attendait ä la gare. Grigou
fronca les sourcils. Sa femme le pinca au bras.
« Sois raisonnable. Calme-toi. »
Une petite fille leur offrit un bouquet. Tous en-
tonnerent un cheeur de circonstance et les condui-
sirent vers leur nouveau chez-soi.
« Mettez les habits de dimanche, dites ä vos
parents que ce soir on fetera et on dansera chez
Emile. »
Une heure apres, le vieux couple fit une entree
triomphale dans la salle ornee du restaurant, sous
les acclamations de tous les habitants qui se don-
naient ä cceur joie, certes ä ses frais, mais non plus
ä ses depens. Robert Sibler.
Qeorcjes Spetz
Si notre « Almanach » se pro-
pose de consacrer une modeste
page ä la memoire de Georges
Spetz, il voudrait rappeler le cen-
tenaire de la naissance de celui
qui fut artiste-peintre et compo-
siteur, poete et collectionneur
d'art. Nous aurions du le celebrer
en 1944, mais, helas, le cente-
naire de la naissance de Spetz par-
tagea le sort de son jour de de-
ces : les deux evenements furent
obscurcis par la guerre et pas-
serent ainsi presque inapercus.
Le pere Spetz, Jean-Baptiste,
etait originaire de Soppe-le-Bas,
Station de relais importante sur
Ja grande route nationale Belfort-
Pont d'Aspach - Colmar. En 1923,
apres avoir fait ses etudes, il se
fixa ä Issenheim et entra dans la
manufacture de ses oncles, Joseph
et Thiebaut Zimmermann, qu'il
rcmplaca en 1840 en qualite de
proprietaire et directeur d'usine.
Spetz devint Tun des fondateurs
de l'industrie cotonniere en Alsa-
ce, et il donna egalement l'exem-
ple d'un philanthrope en creant
des caisses de prevoyance, une
salle d'asile, des cites ouvrieres.
II mourut ä Issenheim en 1878
apres une vie de labeur au Service
de l'industrie d'Alsace.
Son fils Georges, ne ä Issenheim
le 31 mai 1844, avait moins
de goüt pour les problemes in-
dustriels que pour tout ce qui est
beau et elegant, pour les arts et
la poesie. II fit ses etudes ä Colmar
, puis ä Paris. Rentre dans le
paisible village natal, Georges
Spetz se consacra ä la peinture.
Fritz de Niederhäuser fut son
professeur dans l'art du fusain.
Puis, apres un sejour ä Rome, il
exposa des tableaux au Salon de
Paris. Le jeune artiste etait surtout
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