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LE MESSAGER DU RHIN
QUI PUNIT DE MORTLES CURIEUX ET LES IMPRUDENTS
QUI VIENNENT L'EXPLORER
LE PAYS DU DIEU VI VA NT
II est au centre de l'Asie une citadelle colossale,
im plateau quatre fois plus grand que la France,
hisse ä quatre mille metres des plaines environ-
nantes, pays pauvre et desert qu'entourent des
montagnes gigantesques, les plus hautes du monde.
Des vents violents y soulevent d'incessantes tour-
mentes de neige ou de poussiere. L'air est si rarefie
au passage des cols et des
cretes que parfois les ani-
maux tombent foudroyes,
comme empoisonnes.
Ce pays, c'est le Tibet,
terre sacree du bouddhisme.
Defendues par la formi-
dable barriere de glaces et de neiges qui, de toutes
parts les enserrent, ces regions sont encore inter-
dites aux etrangers, quels qu'ils soient, par le fa-
natisme des lamas. Du fond de leurs sanctuaires
obscurs aux murs de laque et d'or, ces pretres de
Bouddha exercent une autorite illimitee et defen-
dent energiquement leur pays contre une curiosite
sacrilege. Les rares voyageurs qui ont pu penetrer
au Tibet n'y ont reussi que par ruse et au prix de
mille perils et difficultes. Mais l'etrangete de ce
qu'ils apercurent les paya de leurs rüdes efforts.
La en effet, depuis sept siecles, l'humanite dort
d'un profond sommeil lethargique; lä survit le
moyen äge avec ses moeurs, ses coutumes, ses hom-
mes d'armes bardes de fer; lä le chef des pretres, le
Dalai Lama, ä la fois roi et dieu, regne non seule-
ment sur d'immenses monasteres, mais sur rout le
peuple evalue ä quelque 2 millions d'ämes.
Reste en dehors du progres et du mouvement du
monde, ce pays mysterieux n'avait pas ete visite
par les etrangers depuis cinquante ans. Les der-
niers etrangers europeens qui avaient penetre dans
Lhassa, l'inaccessible capitale, en 18 84, etaient
deux missionnaires francais, les PP. Huc et Gäbet.
Depuis aucun n'avait reussi ä dejouer la surveil-
lance rigoureuse des lamas.
En 1897, l'Anglais Savage Landor resolut de ten-
ter l'aventure pour son compte. II fut un des premiers
Europeens ä nous parier de ce pays etrange.
UNE RECONNAISSANCE
QUI RISQUAIT DE MAL TOURNER
II s'etait mis en route tout seul, ä ses risques et
perils. Comme il lui fallait une escorte, des guides
et des porteurs pour les vivres, les munitions et les
instruments, il recruta trente hommes chez les
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Chokas, peuple de moeurs douce's et hospitalieres,
qui habite au pied de l'Himalaya. II eut beaucoup
de mal ä les y decider, car nul ne se souciait d'af-
fronter des dangers redoutables; il dut y mettre le
prix. La direction de cette caravane fut confiee ä
un ex-policier hindou.
Malgre la saison, — on etait au commencement
de l'ete, — le temps etait pluvieux et froid, les ri-
vieres gelees, et la neige couvrait les montagnes,
rendant les cols impratica-
bles. Savage Landor n'en
pcussait pas moins des re-
connaissances frequentes
vers la frontiere. Et il eut
aussitöt un avant-goüt des
emotions qui l'attendaient
au cours de son voyage. A 3.600 metres d'alti-
tude, ä environ 90 metres au-dessus d'une rivie-
re, il avait ä traverser un neve fortement gele,
dont la pente etait tres rapide. Quelques-uns des
coolies etaient alles en avant, les autres suivaient
en arriere. Malgre la piste taillee par les premiers
, il etait necessaire de retailleur soi-meme
chaque pas.
« En donnant un coup de pied pour faire un
creux dans la neige, ecrit l'explorateur, je frappai ä
un endroit oü la glace dure se dissimulait sous une
mince couche de neige. Mon pied, ne pouvant
trouver d'appui, glissa et je perdis l'equilibre. Je
devalai sur la pente raide ä une grande vitesse, ac-
compagne par les cris de mes coolies frappes d'hor-
reur. Je me rendis compte que j'allais etre precipite
dans la riviere et passer aussitot sous un long tun-
nel de glace, oü je devais infailliblement perir. De
mes doigts geles, je m'efforcai de m'accrocher ä la
neige, mais sans succes. Enfin j'apercus devant moi
une grande pierre s'elevant au-dessus de la neige.
Tendant desesperement chaque nerf et chaque
muscle, je vis bien en m'approchant, tandis que
j'entendais l'eau ecumer en-dessous, que c'etait lä
ma derniere esperance. Je raidis consciemment mes
jambes en vue du choc. II fut terrible. Je crus au
premier moment que mes os etaient brises. Mais je
m'arretai ä quelques pieds au bord de l'eau, et, par
miracle, quoique affreusement contusionne, je
n'avais pas d'os casses. »
INUTILES AVERTISSEMENTS
La neige, cependant, disparaissait peu ä peu.
Bientot la montagne devint libre. Savage Landor ne
perdit pas un moment. Les Chokas qui souffrent
continuellement de la cruaute des Tibetains, sup-
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